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Bilan du programme Civilinum

Le rôle des facteurs organisationnels dans l’émergence des incivilités

Le projet CIVILINUM a été particulièrement productif en matière de collaborations scientifiques et extrêmement satisfaisant du point de vue sa productivité scientifique et des relations nouées avec les partenaires socio-économiques. Du point de vue des résultats scientifiques, nous avons pu faire une avancée scientifique majeure dans la prise en compte des incivilités au travail. Jusqu’ici les incivilités se manifestant via des outils numériques au travail étaient surtout étudiées en psychologie et considérées essentiellement comme le fait d’individus,  souvent considérés comme mal socialisés, mal éduqués, mal intégrés ou encore anxieux et démotivés. La dimension individuelle et psychologique du phénomène était prégnante, tout comme les considérations de genre ou de niveau de formation, ou encore d’âge, envisagés comme les facteurs influençant la production d’incivilités.

Nous avons pu montrer que les facteurs organisationnels étaient extrêmement importants dans la production des incivilités numériques notamment au cours d’une grande étude quantitative sur un échantillon représentatif de la population des cadres. Surcharge de travail, urgence en série, travail en multitâches ou multi-communication, débordement du travail sur les temps privés, isolement, sont autant de circonstances organisationnelles ayant favorisé les incivilités numériques, notamment pendant la pandémie de COVID. Les aspects organisationnels expliqueraient à eux seuls plus de 40 % des occurrences de ces dernières chez les cadres. Des questions autour de l’intégration organisationnelle, de la diversité et de la discrimination sont aussi importantes. En définitive, la multiplication des outils de communication à distance, et le lot d’incivilités numériques qui l’accompagne, agissent comme une loupe pour mettre en relief des problématiques organisationnelles non résolues ou mal prises en compte, les incivilités se révélant souvent être des symptômes ou des manifestations témoignant de ces difficultés.

Cet apport de nos études à la littérature scientifique a fait l’objet de beaucoup d’intérêt, à la fois dans la sphère professionnelle et académique. Les incivilités numériques se sont révélées être également un phénomène essentiel dans la survenue des risques psycho-sociaux, elles en sont une première manifestation et traduisent souvent des difficultés organisationnelles qui demandent à être prise en compte.

Des incivilités aux violences numériques

Dans son ouvrage sur « La contre-démocratie » Pierre Rosanvallon identifie de nouvelles formes d’intervention citoyennes dans l’espace public : la vigilance, la dénonciation, la notation, utilisées de plus en plus par les individus/citoyens pour qualifier des actions ou des personnes. L’extension du phénomène de défiance, qui se développe avec ces pratiques, est, selon lui, salutaire pour la démocratie, mais il émet l’idée qu’un excès de défiance et de dénigrement pourrait également devenir mortifère.  Internet pourrait être considéré comme un espace où la défiance se manifeste dans un souci de contrôle et de surveillance, voire d’émancipation, mais jusqu’où ?  Comment traiter la violence manifeste, une fois qu’elle est là ? Comment les outils technologiques peuvent-ils être mobilisés et selon quelles bases théoriques, pour faire diminuer la violence en ligne, notamment dans les espaces de travail. Le travail réalisé sur les incivilités pourrait être réinvesti pour étudier des formes de violences manifestes, et non plus des incivilités, dont la régulation reste encore très difficile, et qui se développent dans les organisations. Comprendre leur nature et les conditions organisationnelles de leur survenue demande des investigations pour mieux les réguler.